Marie-France Hirigoyen est psychiatre, psychanalyste. Elle est aussi
formée en thérapie familiale et en victimologie. Elle est l’autrice du
livre Le Harcèlement moral, la violence perverse au quotidien (éd.
Syros ), qui s’est vendu à plus de 160 000 exemplaires en un an.
Grâce à l’ouvrage de Marie-France Hirigoyen, la France a découvert le harcèlement moral, « mobbing » pour les Anglo-Saxons.
ALTERNATIVE SANTÉ - L’Impatient : Qu’est-ce que le harcèlement moral sur le lieu de travail ?
Marie-France
Hirigoyen : Ce terme recouvre toute conduite abusive se manifestant par
des paroles, des actes et des écrits destinés à porter atteinte à
l’intégrité physique et psychique d’une personne, à mettre en péril son
emploi ou à dégrader ses conditions de travail. C’est, par exemple,
demander à un cadre, à 8 heures du soir, de rédiger un rapport de 50
pages pour le lendemain et réitérer cette demande fréquemment. Ce
processus pervers peut être invisible. La victime peut penser qu’il
s’agit d’une demande courante dans cette entreprise. Le but est de
porter atteinte à l’image que la personne a d’elle-même, de l’isoler et
de la pousser à la faute. Cela peut aboutir à la dépression, à la
démission, au suicide.
Comment vous êtes-vous intéressée au harcèlement moral ?
Dans
mon écoute de thérapeute, j’ai réalisé que je renvoyais les personnes à
quelque chose du genre : « Vous êtes pour quelque chose dans ce qui
vous arrive ». Or, dans ma pratique, j’ai rencontré des patients en
situation de harcèlement, pour qui ce n’était absolument pas le cas.
Désormais, dans certaines situations, je refuse le « vous y êtes pour
quelque chose ». Avec le harcèlement moral, on a affaire à un pervers
qui cherche à casser quelqu’un sans laisser de trace.Comment
expliquez-vous le succès de votre livre ?Cet ouvrage a été écrit pour
les patients et un grand nombre de personnes s’y sont reconnues. Mon
principal souci a été de décrire cette communication perverse et d’être
le plus concret possible en répondant aux questions des gens : pourquoi
cela marche ? Pourquoi la personne n’arrive-t-elle pas à s’en sortir ?
Pourquoi personne ne dit rien ? J’ai reçu des centaines de lettres. Une
première vague concernait davantage la famille et aujourd’hui
essentiellement le lieu de travail.
Qui sont les harcelés ?
Contrairement
aux idées reçues, les harcelés ne sont pas des faibles. Bien souvent,
au contraire, se sont des gens qui ont un petit quelque chose en plus.
Les cibles privilégiées sont les femmes enceintes, les délégués
syndicaux et les personnes de plus de 50 ans. Les femmes sont davantage
harcelées dans un registre sexiste. Le harceleur est soit un collègue,
soit un supérieur hiérarchique.De tout temps, il y a eu des êtres
dépourvus de scrupules, calculateurs, manipulateurs, mais la
multiplication actuelle des actes de perversité dans les familles et
dans les entreprises est un indicateur de l’individualisme qui domine
notre société. Dans un système qui fonctionne sur la loi du plus fort,
du plus malin, les pervers sont rois. Quand la réussite est la
principale valeur, l’honnêteté paraît faiblesse et la perversité prend
un air de débrouillardise.
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