De Charles Laughton (1950).
Avec : Robert Mitchum (Harry Powell), Shelley Winters (Willa Harper), Lilian Gish (Rachel Cooper), Peter Graves (Ben Harper), Billy Chapin (John Harper), Sally Jane Bruce (Pearl Harper).
L'histoire :
Nous sommes au bord de l'Ohio, dans les années 30. L’étrange pasteur Harry Powell (Robert Mitchum) porte les mots « love » et « hate » sinistrement tatoués sur les phalanges de ses deux mains.
Après un court séjour en prison, Powel est à la recherche du magot que son ex-partenaire de cellule, Ben Harper (Peter Graves … tout jeune !), a caché. Powell se rend à la ferme des Harper. Il ne tarde pas à s'apercevoir que les enfants, John et Pearl, savent quelque chose.
Il séduit leur mère, Willa (Shelley Winters), et l'épouse.
Quand il comprend que Willa ne sait rien mais qu'elle commence à se douter de quelque chose et suspecte ses intentions, il la tue et laisse courir le bruit qu'elle est partie. En fait son cadavre, placé dans sa voiture, repose au fond de la rivière, les cheveux flottant au gré du courant.
Quand les gosses finissent par avouer que le magot est caché dans (je
ne le dirai pas ! )… ils s’enfuient et descendent le fleuve en barque.
Ils sont recueillis par la vieille Rachel (Lilian Gish), une femme généreuse et maternelle qui s'occupe déjà de deux enfants…. La fin, étrange et déconcertante, réserve plus d’une surprise.
Ce film, inclassable, est le parfait exemple de film de cinéphile pour cinéphile. Un
excés stylistique emballant.
Son échec commercial empêcha Charles Laughton de continuer une carrière de metteur en scène. Il est donc son unique oeuvre.
La relative maladresse de la narration renforce encore son étrangeté. A vrai dire, le développement de l'histoire compte beaucoup moins dans le film que son atmosphère et ses personnages.
Ce film est la fois un
conte (comme un conte de Grimm) et un
film noir.
Le rôle de Mitchum tient de Barbe-Bleue, de l'ogre et de tous ces êtres mythiques qui fascinent et terrorisent l'imagination des enfants.
L’imagerie “film noir” doit beaucoup au travail de l'opérateur
Stanley Cortez. Les décors trés expressionnistes rappellent que le film noir doit beaucoup au style “irréel” (voire “surréel”) de certains réalisateurs européens,
Dreyer et Murnau, en particulier. Au delà de toute rationalité, le récit est ponctué de scènes inoubliables : le cadavre de Willa au fond de l'eau, le cantique que chantent les deux voix d'enfant, la silhouette de Powel à cheval se découpant dans le soleil couchant, Rachel assise sous sa véranda et Powell qui la guette dans le jardin.
A la fin, la vieille Rachel nous dit la morale : “
You know, when you're little, you have more endurance than God is ever to grant you again. Children are humanity's strongest. They abide…..They abide and they endure”
Les peurs de l’enfant ne sont pas celles de l’adulte. Comment rassurer un enfant : “
Un enfant regarde une ombre sur le mur et voit un tigre. Et les adultes disent "ce n'est pas un tigre ; retourne au lit". Et quand cet enfant s'endort, c'est un sommeil hanté par le tigre, par la respiration du tigre sur les carreaux de la fenêtre".
“Film de cinéphile” aussi car on peut y détecter de multiples influences.
Acteur pour Hitchcock (The Paradine Case), Laughton lui a emprunté sa vision du mal qui se donne les apparences du bien. A ce titre, on peut voir le pasteur Powel comme un lointain cousin de l’oncle Charlie de L’ombre d’un Doute.
On peut également y retrouver la thématique “Fordienne” (le faible contre “un” système), ainsi même qu’une certaine resemblance formelle avec “Les Raisins de la colère” (le N&B y fait beaucoup, mais pas seulement).
On peut penser sans se tromper que Laughton a rendu homage à Griffith (avec la présence de Lilian Gish, actrice fétiche de Griffith), et qu'il s’est inspiré des réalisateurs de films d’angoisse et d’épouvante comme James Whale (Frankenstein), Todd Bronwning et Jacques Tourneur.
Laughton n'a signé qu'un film, mais il est touché par la grâce.