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| Le bonheur | |
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nakata Modérateur
Nombre de messages : 3633 Localisation : Marie-George Buffet Land Date d'inscription : 28/09/2006
| Sujet: Le bonheur Ven 17 Aoû 2007 - 16:14 | |
| C'est quoi, le bonheur ? Comment une société peut parvenir à une optimisation du bonheur de ses membres ? Quelle politique du bonheur ? Un gouvernement a-t-il seulement la légitimité pour agir sur le bonheur, ou est-ce un concept qui ne se décrète pas, sous peine de verser dans le totalitarisme ? Courrier international, ce mois-ci, sort un hors-série sur le bonheur. J'ai commencé, c'est passionnant. Le premier article, tiré de Newsweek : - Citation :
- De Londres à Pékin, l'idée fait son chemin
Les progrès scientifiques ont ouvert un nouveau champ d'étude, celui du bonheur. Désormais mesurable, il devient un objectif politique.
D'après vous, qu'est-ce qui vous rendrait vraiment, vraiment heureux ? Gagner plus ? Erreur. Avoir 2,5 enfants équilibrés et souriants ? Erreur là encore. Et qu'est-ce qui vous rendrait le plus malheureux : perdre la vue ou avoir des problèmes de dos ? Eh bien, c'est le mal de dos. Le fait est que nous sommes nuls pour prédire ce qui nous rendrait heureux. Et, quels que soient les choix que nous faisons, en général, nous décidons rétrospectivement que c'étaient les meilleurs. Voilà ce que nous apprend l'économie du bonheur, l'un des domaines les plus en vogue de la "science triste" [dismal science, surnom donné à l'économie par l'historien écossais Thomas Carlyle au XIXe siècle]. Le bonheur est partout - sur les listes de best-sellers, dans la tête des hommes politiques et dans les études des économistes -, et pourtant il reste insaisissable. La règle d'or de l'économie a toujours voulu que le bien-être soit simplement fonction des revenus. C'est pourquoi les Etats et les individus font tout pour accroître leurs richesses - l'argent nous donne le choix et une certaine liberté. Mais de plus en plus d'études montrent que la richesse, à elle seule, n'est pas forcément ce qui fait notre félicité. A partir d'un certain niveau de revenus, nous ne sommes pas plus heureux. Et ce n'est pas ce que nous possédons, mais de posséder plus que notre voisin, qui compte réellement. Désormais, les décideurs politiques font tout pour comprendre ce qui rend les gens heureux et comment ils peuvent y contribuer. Des pays aussi différents que le Bhoutan, l'Australie, la Chine, la Thaïlande et le Royaume-Uni élaborent des "indices de bonheur" afin de les utiliser conjointement au PIB pour mesurer le progrès de la société. Au Royaume-Uni, David Blanchflower, un économiste du travail spécialisé dans le bonheur, a récemment été nommé au comité de politique monétaire de la Banque d'Angleterre, et la "politique du bonheur" a toutes les chances d'être l'un des principaux thèmes de campagne lors des législatives de l'an prochain. Peu importe que les principaux spécialistes internationaux du domaine se soient demandé lors d'une conférence, en avril, à Rome, si le bonheur était mesurable. [La rencontre, organisée entre autres par l'OCDE et la Commission européenne, s'intitulait "Peut-on mesurer le bonheur et que signifie cette mesure pour l'action publique ?"] Il semble que rien ne puisse arrêter cet élan vers "l'étât de bien-être". Fin juin, des personnalités parmi lesquelles le Premier ministre turc, l'économiste en chef de la Banque mondiale et les dirigeants de Google se sont rencontrés [à Istanbul] pour discuter des moyens de mesurer le progrès de l'humanité autrement que par le taux de croissance du PIB [lors d'un forum mondial organisé par l'OCDE sur le thème "Mesurer et favoriser le progrès des sociétés"]. Pourquoi tout cela maintenant ? Ce n'est que depuis une petite dizaine d'années qu'économistes, psychologues, biologistes et philosophes ont commencé à échanger leurs idées pour aboutir aux "études du bonheur". Daniel Gilbert, professeur de psychologie à Harvard, résume avec humour cette nouvelle préoccupation dans son livre intitulé Et si le bonheur vous tombait dessus [éd. Robert Laffont, 2007]. D'après lui, la télévision et Internet nous montrent un nombre incroyable de gens apparemment heureux. "Nous sommes cernés par le quotidien de gens riches et célèbres, explique Gilbert, ce qui vient sans cesse nous rappeler que d'autres ont plus que nous."
L'idée que l'argent ne fait pas le bonheur n'est évidemment pas nouvelle. Dans l'Angleterre du XVIIIe siècle, le philosophe des Lumières Jeremy Bentham affirmait déjà que la meilleure politique publique est celle qui favorise le plus grand bonheur. Beaucoup d'économistes de renom étaient d'accord, mais n'avaient pas les moyens de reprendre cette idée à leur compte. Il n'y avait en effet aucun moyen de mesurer objectivement le bonheur. L'accroissement de la prospérité au cours des dernières décennies a incité les spécialistes des sciences sociales et les économistes à délaisser partiellement la mort et la maladie pour réfléchir davantage au bonheur. Au Royaume-Uni et aux Etats-Unis, des psychologues et des économistes du travail ont entamé des études sur le long terme en demandant à des volontaires d'évaluer leur bien-être au fil du temps. Parallèlement, le progrès technologique a permis aux scientifiques de déterminer l'existence d'une aire du bonheur dans le cerveau [voir pp. 13-14]. Les mesures de la félicité sont ainsi devenues plus crédibles. L'un des premiers résultats des recherches sur ce sujet est dû à Richard Easterlin, professeur à l'Université de Californie du Sud : il a montré que, si les riches sont généralement plus heureux que les pauvres, le bonheur supplémentaire résultant d'un revenu supplémentaire n'est plus aussi significatif une fois que l'on est sorti de la pauvreté. Cela s'explique selon lui par le "cycle hédoniste": nous nous habituons sacrement vite à notre revenu plus élevé, que nous considérons comme acquis ou que nous comparons à celui des autres, et non pas à ce que nous avions précédemment. La volonté de faire aussi bien que les autres est fermement ancrée dans nos cerveaux du fait de notre instinct grégaire.
TAXER LA CONSOMMATION OSTENTATOIRE POUR RÉDUIRE LÀ JALOUSIE
A la suite de ces premiers travaux, d'autres études sur le bonheur ont suivi, notamment sur le mariage, le travail, les enfants, la télévision ou l'immigration. C'est donc tout naturellement que les chercheurs - et les politiques - ont fini par s'intéresser aux moyens de rendre les sociétés plus heureuses. De façon surprenante, l'une des premières recommandations a été d'augmenter les impôts. Au Royaume-Uni, Andrew Oswald, professeur d'économie à l'université de Warwick, a fait valoir que taxer la consommation ostentatoire pourrait accroître le bonheur collectif en réduisant la jalousie. Dans son livre Le Prix du bonheur : leçons d'une science nouvelle [éd. Armand Colin, 2007], sir Richard Layard, professeur à la London School of Economies, encourage les dirigeants politiques à réduire la mobilité géographique, à demander aux entreprises d'en finir avec la rémunération au mérite et à dépenser plus pour la santé mentale, l'enseignement général et une éducation "morale" et tolérante [voir aussi pp. 27 à 29]. Même si ces préconisations font l'objet de vifs débats, il n'est pas étonnant de voir la gauche les adopter au Royaume-Uni, en Australie et aux Etats-Unis. Mais l'économie du bonheur trouve également de nouveaux partisans inattendus - les conservateurs britanniques, les bureaucrates chinois, le roi du Bhoutan -, car elle propose des solutions pour faire face aux bouleversements induits par la mondialisation. Au lieu de dire aux gens de travailler plus, les politiques peuvent leur parler d'équilibre vie-travail. "Nous ne devons pas penser simplement à ce qu'il faut faire pour mettre de l'argent dans la poche des gens, mais à ce qu'il faut faire pour leur mettre davantage de bonheur dans le cœur", a déclaré David Cameron, le chef du Parti conservateur britannique, dans un récent discours où il proposait un "indice général du bien-être" [voir p. 30]. La Thaïlande dispose déjà d'un indice de ce genre. Après le coup d'Etat militaire de l'an dernier, le Premier ministre, Surayud Chulanont, a promis à ses concitoyens de les rendre plus riches, mais aussi plus heureux. Les statisticiens se sont donc mis à recueillir des données sur l'éducation, la famille, le travail et la santé afin d'établir un indice du bonheur, censé servir de base à un plan quinquennal qui prévoit désormais une hausse des dépenses en faveur de l'éducation et des communautés rurales isolées. En Chine, le nouvel indice du bonheur, annoncé pour la fin de l'année, fait partie de la campagne lancée par Pékin pour "une société plus harmonieuse" [voir p. 31]. Au Bhoutan, le gouvernement s'est appuyé sur la notion de bonheur national brut pour décréter que 60 % du territoire national resteraient couverts de forêts et que les touristes étrangers devaient dépenser au moins 200 dollars par jour - l'objectif étant de limiter le tourisme de masse, préjudiciable au bonheur des Bhoutanais [voir p. 21]. Ces exemples montrent avec quelle facilite on peut manipuler les recherches sur le bonheur pour les mettre au service d'objectifs politiques discutables. Plusieurs études ont déjà conclu à la nécessité de fermer des aéroports (la pollution sonore n'est pas bonne pour notre moral) et d'augmenter les dépenses militaires (pour renverser d'impitoyables dictatures). Lors de la conférence de Rome, des spécialistes ont mis en garde contre l'utilisation des études sur le bonheur à des fins autoritaires, estimant que ces travaux ne devaient servir qu'à éclairer les choix des individus, et non les politiques publiques. Cela n'a pas fait plaisir aux fonctionnaires européens, thaïlandais et britanniques, qui avaient fait le déplacement pour obtenir des conseils précis. Les travaux de Ruut Veenhoven, professeur à l'université Erasme de Rotterdam, en disent long sur la difficulté de trouver une formule nationale du bonheur. A première vue, son classement des pays les plus heureux semble confirmer les idées reçues, puisque le Danemark, la Finlande et l'Islande y figurent parmi les premiers [voir pp. 22 et 26]. Mais Veenhoven affirme que ce n'est pas parce qu'ils sont plus égalitaires ou plus soucieux du bien-être social que ces pays sont en tête. La preuve : l'Islande est plus heureuse que la Suède, alors qu'elle dépense moitié moins en protection sociale.
Les études de Veenhoven prennent le contre-pied des nombreux spécialistes qui préconisent de "travailler moins et s'amuser plus". En effet, les Américains, gros travailleurs, arrivent en 17e position de son classement, tandis que les Français, avec leurs longues vacances, ne se placent qu'au 39e rang. Les êtres humains désirent effectivement un filet de sécurité à l'européenne, mais ils veulent aussi de la liberté et des opportunités. Claudia Senik, professeure d'économie à l'université Paris-IV Sorbonne, montre, dans une récente étude intitulée Is Man Doomed to Progress ? [L'homme est-il condamné au progrès ?], que lorsque les individus aspirent à une meilleure qualité de vie dans les douze prochains mois, ils se sentent généralement plus heureux, quoi qu'il arrive par la suite. "Cette étude implique que la croissance n'est pas inutile", explique Mme Senik, et que le PIB n'est finalement pas un si mauvais indicateur du bien-être.
Et, comparé aux calculs du bonheur, il est plutôt simple. "L'un des gros problèmes pour les politiques, c'est qu'un grand nombre de variables interviennent dans le calcul du bonheur", explique Paul Dolan, économiste à l'Impérial Collège de Londres, qui travaille avec le ministère du Commerce et de l'Industrie à l'élaboration d'un système de mesure. "Ce n'est pas une science exacte."
À L'ÉCHELLE D'UNE VIE, LES ENFANTS CONTRIBUENT À LA FÉLICITÉ Comme dans toutes les enquêtes, la formulation des questions et la nationalité des personnes interrogées influencent les résultats. Les chercheurs nous disent que le climat est un élément déterminant du bonheur, tout comme les gènes. Mais il existe aussi toutes sortes de bonheurs : le plaisir immédiat, la satisfaction que peut apporter le travail, ce sens profond de la vie que peut procurer la religion ou la spiritualité. Quel type de bonheur mesure-t-on alors ? Lequel doit l'être ? Et peut-on réellement élaborer des politiques publiques sur cette base ? Le mariage, les enfants et le bonheur qu'ils nous procurent sont un parfait cas d'école. Le psychologue Daniel Gilbert explique que les futurs parents sont conscients de la difficulté d'élever un enfant, mais n'en sont pas moins persuadés que cela les rendra très heureux. En fait, les études montrent que c'est précisément l'inverse qui se produit et que le bonheur parental ne s'accroît qu'une fois que les enfants partent faire leurs études. Néanmoins, si l'on regarde le bonheur à l'échelle d'une vie, sans se focaliser sur des moments précis comme la poussée des dents ou les couches à changer, il est indéniable que les enfants apportent de la valeur. Les tenants de la politique du bonheur savent bien qu'il faut des enfants pour remplacer les actifs qui partiront à la retraite, mais doivent-ils pour autant encourager les couples à faire quelque chose qui les rendra malheureux, du moins sur le court terme ? Il en va de même pour le mariage. Les études indiquent que les couples mariés sont plus heureux, mais n'est-ce pas parce que les gens heureux se marient ? Finalement, les politiques familiales des gouvernements importent peu car les gens adhèrent volontiers à ces mythes du bonheur, qui participent du grand complot sociétal de la croissance. "Nous sommes le produit de nos gènes et de nos sociétés", note Gilbert. Les traditions l'emporteront sur la preuve empirique que l'argent et les enfants ne font pas notre bonheur. Naturellement, il existe autant de moyens de lutter contre la pauvreté, d'alimenter la croissance et de parvenir à un meilleur équilibre vie-travail qu'il existe de gouvernements. La bonne nouvelle est que, quoi que l'on fasse, que l'on soit un individu ou une société, il est fort probable que l'on aura après coup le sentiment d'avoir fait le bon choix.
Rana Foroohar D'autres articles plus tard... | |
| | | campagne première Modérateur
Nombre de messages : 2541 Localisation : entre vignes et caveaux Date d'inscription : 26/09/2006
| Sujet: Re: Le bonheur Ven 17 Aoû 2007 - 16:45 | |
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| | | nakata Modérateur
Nombre de messages : 3633 Localisation : Marie-George Buffet Land Date d'inscription : 28/09/2006
| Sujet: Re: Le bonheur Ven 17 Aoû 2007 - 17:00 | |
| - campagne première a écrit:
- Merci Nak je vais mettre la main sur ce hors-série.
Attention, fin programmée le 22 août. Y en aura pas pour tout le monde ! | |
| | | scud56
Nombre de messages : 1742 Age : 68 Localisation : Gross Paris Date d'inscription : 29/09/2006
| Sujet: Re: Le bonheur Ven 17 Aoû 2007 - 18:58 | |
| Et pour le poste de Ministre du Bonheur vous voyez qui en France aujourd'hui? | |
| | | campagne première Modérateur
Nombre de messages : 2541 Localisation : entre vignes et caveaux Date d'inscription : 26/09/2006
| | | | c0rt0maltese
Nombre de messages : 1980 Localisation : ben devant l'ordi... Date d'inscription : 21/10/2006
| Sujet: Re: Le bonheur Sam 18 Aoû 2007 - 11:25 | |
| - scud56 a écrit:
- Et pour le poste de Ministre du Bonheur vous voyez qui en France aujourd'hui?
Jonhny walker! | |
| | | nakata Modérateur
Nombre de messages : 3633 Localisation : Marie-George Buffet Land Date d'inscription : 28/09/2006
| Sujet: Re: Le bonheur Sam 18 Aoû 2007 - 11:29 | |
| Cali !
"C'est quand le bonheur ?" | |
| | | zebadguy Admin
Nombre de messages : 3349 Age : 48 Localisation : Mon salon Date d'inscription : 04/10/2006
| Sujet: Re: Le bonheur Sam 18 Aoû 2007 - 11:35 | |
| - scud56 a écrit:
- Et pour le poste de Ministre du Bonheur vous voyez qui en France aujourd'hui?
J"hésite entre Mano Solo et Chantal Goya | |
| | | nakata Modérateur
Nombre de messages : 3633 Localisation : Marie-George Buffet Land Date d'inscription : 28/09/2006
| Sujet: Re: Le bonheur Sam 18 Aoû 2007 - 11:56 | |
| Encore un article du hors-série sur le bonheur, ça va faire déprimer L'Gé : - Citation :
- Quand on n'aime pas la vie, on va au cinéma
Le fameux happy end cinématographique est-il une invention artistique ou une obligation dictée par le sens de notre existence ? La réflexion du philosophe belge Jean Deraemaeker.
Bien sûr, qui ne souhaite pas que les choses se terminent bien ? Tout est bien qui finit bien. C'est la formule fréquente du capitaine Haddock dans Les Aventures de Tintin, lesquelles se clôturent toujours sur une dernière image heureuse ou drôle pour amorcer de plus belle la suite des aventures du célèbre reporter et de son fidèle compagnon Milou. L'essentiel, dans l'aventure, c'est qu'elle se poursuive. A la fin de chaque album, le héros devait triompher. A cette seule condition, en effet, pouvait se dessiner l'épisode suivant. Tant qu'il y a de la vie, il y a de l'espoir.
La plupart des films américains sortis de la cuisse d'Hollywood sont orientés vers le happy end. Il fut même une époque, pas si lointaine, où ce phénomène passait pour une sorte d'obligation si l'on voulait se faufiler à travers les mailles de la censure. Le happy end américain était perçu par les cinéastes et les cinéphiles européens comme une sorte d'infantilisme. Pour être adulte, il fallait au contraire souscrire aux destins les plus noirs, aux fins tragiques, aux amours sans issue. L'oeuvre d'Ingmar Bergman ne brillait pas par sa légèreté. Son univers était un peu étouffant. "La vie n'est rien d'autre qu'un voyage cruel et dénué de sens vers la mort", fait-il dire à un personnage dans Prison (1949). Dans son ensemble, la littérature semble moins sous l'emprise de la fin heureuse. Le rôle du lecteur est plus actif que celui du spectateur.
Le lecteur d'un roman lit à son rythme. Il peut interrompre sa lecture, la reprendre, revenir en arrière, sauter un ou plusieurs chapitres, ne pas terminer le livre, lire en diagonale ou s'attarder sur un passage. Sur le plan de l'interprétation, le lecteur jouit aussi de plus de latitude, parce que c'est en esprit qu'il reconstitue l'univers évoqué par les mots. Les images qu'il se forge, les sentiments qu'il attribue aux personnages, il les construit lui-même, pour une bonne part. Le chemin du lecteur, plus ardu que celui du spectateur, lui offre plus de liberté. Cela dit, le cinéma américain a peut-être raison de privilégier malgré tout le happy end, parce qu'il se pourrait que la fin heureuse ne soit pas seulement une invention artistique. Elle serait ancrée dans l'esprit de l'homme. Seule cette perspective, qu'il s'agisse de foi, d'optimisme ou d'humanité, nous permet de tenir debout, d'agir et d'être.
Le catéchisme de notre enfance ne disait pas autre chose. Il suffisait de bien se conduire en cette vie, d'aimer Dieu et son prochain, pour que la mort ne soit qu'un passage vers une plus grande félicité, laquelle justifiait amplement nos souffrances et nos malheurs ici-bas. Rien ne se perdait, puisque nous retrouverions un jour nos chers disparus pour vivre ensemble une vie divine. La théologie catholique avait inventé la plus heureuse des fins heureuses. Quant à l'autre branche de l'alternative, l'enfer et ses flammes éternelles, on ne la redoutait pas trop, faute d'y croire ou parce que nous nous en sentions de toute façon préservés. La disproportion entre le délit et le châtiment rendait celui-ci peu vraisemblable.
Le cinéma console. Surtout les fins heureuses, bien sûr. Pour le temps que dure la projection et un peu au-delà. Mieux que la littérature ? L'image fascine, envoûte et endort. C'est la force d'attraction du film, mais aussi son point faible parce qu'il s'éloigne par là de la vraie vie. Quand on n'aime pas la vie, on va au cinéma, disait François Truffaut. Et Jean d'Ormesson avouait récemment à la télévision qu'il avait fréquenté assidûment les salles obscures dans ses moments les moins heureux.
Quoi qu'il en soit, la littérature procure sans doute tout autant de consolation, et peut-être avec des effets plus durables. Mais nous savons, depuis Stig Dagerman*, que notre soif de consolation est si grande que rien ne peut l'étancher. Et sans doute n'est-il pas tout à fait vrai que seuls les happy ends nous seraient salutaires. On peut aimer aussi le tragique et le désespoir avec Racine, se délecter du pessimisme le plus radical avec Cioran, pleurer, parce que cela fait du bien, avec Les Feux de la rampe (Limelight, 1952) de Charlie Chaplin... Jean Deraemaeker, La Libre Belgique (extraits)
* Cet écrivain suédois (1923-1954) est notamment l'auteur de Notre besoin de consolation est impossible à rassasier (Actes Sud, 1993). | |
| | | Gotch Invité
| Sujet: Re: Le bonheur Sam 18 Aoû 2007 - 12:23 | |
| Le bonheur ? C'est une impression que tout était à sa place, la vraie, celle que n'indiquent pas les agences de comm, que le soleil était plus brillant parce qu'il en avait envie, que le ciel avait un de ces bleus..... que les tracas n'étaient rien à côté d'autres tracas passés....
Mais aussi c'est souvent une impression que l'on découvre quand (voir ci-dessus l'imparfait) c'est déjà fini!
Depuis que ma femme est très malade, tout est plus simple parce que beaucoup de choses ne sont plus possibles, alors on n'y pense plus. On vit au jour le jour un lien très fort, soudé par la maladie et la souffrance, les enfants donnent de bonnes nouvelles au téléphone, les mesquineries de la vie nous sont évitées par l'isolement vis-à-vis de ceux qui pourraient interférer (patrons....), et en même temps tout Internet est là pour rompre cet isolement à la demande.
Si ce n'est pas le bonheur, et le bonheur au présent, qu'est-ce ? |
| | | scud56
Nombre de messages : 1742 Age : 68 Localisation : Gross Paris Date d'inscription : 29/09/2006
| Sujet: En chanson Sam 18 Aoû 2007 - 13:04 | |
| Le petit bonheur Paroles et Musique: Félix Leclerc 1950 © Raoul Breton
C'était un petit bonheur Que j'avais ramassé Il était tout en pleurs Sur le bord d'un fossé Quand il m'a vu passer Il s'est mis à crier: "Monsieur, ramassez-moi Chez vous amenez-moi
Mes frères m'ont oublié, je suis tombé, je suis malade Si vous n'me cueillez point, je vais mourir, quelle ballade ! Je me ferai petit, tendre et soumis, je vous le jure Monsieur, je vous en prie, délivrez-moi de ma torture"
J'ai pris le p'tit bonheur L'ai mis sous mes haillons J'ai dit: " Faut pas qu'il meure Viens-t'en dans ma maison " Alors le p'tit bonheur A fait sa guérison Sur le bord de mon cœur Y avait une chanson
Mes jours, mes nuits, mes peines, mes deuils, mon mal, tout fut oublié Ma vie de désœuvré, j'avais dégoût d'la r'commencer Quand il pleuvait dehors ou qu'mes amis m'faisaient des peines J'prenais mon p'tit bonheur et j'lui disais: "C'est toi ma reine"
Mon bonheur a fleuri Il a fait des bourgeons C'était le paradis Ça s'voyait sur mon front Or un matin joli Que j'sifflais ce refrain Mon bonheur est parti Sans me donner la main
J'eus beau le supplier, le cajoler, lui faire des scènes Lui montrer le grand trou qu'il me faisait au fond du cœur Il s'en allait toujours, la tête haute, sans joie, sans haine Comme s'il ne pouvait plus voir le soleil dans ma demeure
J'ai bien pensé mourir De chagrin et d'ennui J'avais cessé de rire C'était toujours la nuit Il me restait l'oubli Il me restait l'mépris Enfin que j'me suis dit: Il me reste la vie
J'ai repris mon bâton, mes deuils, mes peines et mes guenilles Et je bats la semelle dans des pays de malheureux Aujourd'hui quand je vois une fontaine ou une fille Je fais un grand détour ou bien je me ferme les yeux ...Je fais un grand détour ou bien je me ferme les yeux... | |
| | | c0rt0maltese
Nombre de messages : 1980 Localisation : ben devant l'ordi... Date d'inscription : 21/10/2006
| Sujet: Re: Le bonheur Dim 19 Aoû 2007 - 10:51 | |
| Bon ça y est, acheté le mag. Je crois que j'ai largement de quoi m'occuper dans le train vu l'épaisseur du dossier. Assez interressant en tout cas (bien vendu le truc nak ) même si y a pas mal de répétition. Première idée que je retiens pour ma part: le bohneur est une notion spatiale et non temporelle. Notion car finalement très personnelle et composé de multiples variables, et spatiale car on le mesure par rapport aux autres et non par rapport à son passé, son histoire. Vais voir maintenant ou on est le plus heureux dans le monde | |
| | | nakata Modérateur
Nombre de messages : 3633 Localisation : Marie-George Buffet Land Date d'inscription : 28/09/2006
| Sujet: Re: Le bonheur Mar 21 Aoû 2007 - 10:05 | |
| Une tribune publiée dans le Harper's Magazine qui renverse radicalement les enjeux du hors-série. - Citation :
- Y en a marre de positiver
L'essayiste américaine Barbara Ehrenreich dénonce une culture qui culpabilise les malheureux. Elle en a fait les frais. Je hais l'espoir. Il y a quelques années, lorsque j'étais traitée pour un cancer du sein, on a essayé de m'enfoncer l'espoir dans le crâne à coups de "Pense positivement !" et "Ne perds pas espoir !" Par la suite, j'ai découvert avec effroi que l'établissement où j'allais recevoir mes soins posthospitaliers s'appelait le Hope Center [le Centre de l'espoir]. L'espoir ? Et pourquoi pas la GUÉRISON ? Pendant des années, dans les meetings antiguerre et les manifestations, j'ai consciencieusement répété le slogan de Jesse Jackson [pasteur et figure de proue du mouvement africain-américain] "Keep hope alive !" [Gardons espoir], tout en croisant les doigts et en pensant : "Rien à foutre de l'espoir. Gardons-nous en vie." Voilà. Je l'ai dit. Que la peste s'abatte sur moi puisque un chœur de voix s'élève pour affirmer que l'espoir, l'optimisme et une "attitude positive" sont les clés de la santé et de la longévité. Parmi ces voix, les plus respectables scientifiquement - les nouveaux docteurs en "psychologie positive" - se plaisent à citer une étude sur des religieuses montrant que celles qui avaient une vision plutôt positive de la vie entre 20 et 30 ans ont rejoint leur Seigneur assez tard, alors que les plus moroses tombaient comme des mouches dix ans plus tôt. L'auteur type d'outils de motivation - livres, CD, cassettes audio, etc. - n'a pas besoin de s'appuyer sur des études pour marteler que les pensées négatives "nuisait à votre santé et peuvent même raccourcir votre durée de vie". Il n'y a pas que notre santé qui est en jeu. Il en va aussi de notre crédibilité en tant que citoyens, salariés ou autres. "99 % des gens disent vouloir être entourés de personnes plus positives", assure le manuel de développement personnel Votre seau est-il bien rempli ? - Des stratégies positives pour le travail et la vie [éd. Libre Entreprise, 2007]. De nombreux militants de la positivité nous exhortent à bannir de notre vie les gens négatifs - ceux qui se plaignent et les "victimes" - parce qu'ils sont "condamnés à perdre". "NOUS NE VOULONS METTRE EN AVANT QUE LES CÔTÉS POSITIFS DU CANCER" Il est partout, ce culte de la positivité, du moins aux Etats-Unis, où 30 000 "coachs de vie" proposent leurs services et où un pessimiste n'a guère plus de chances qu'un athée d'être élu président. Lorsqu'on lance une recherche avec les mots "pensée positive" sur Google, on obtient plus de 1 million de résultats, qui couvrent à peu près tous les types de difficultés qui peuvent se présenter à vous. Un régime ? Robert Ferguson, le "maître de la perte de poids", vous dira qu' "avec une attitude positive vous pouvez FAIRE, AVOIR et ETRE tout ce que vous voulez dans la vie !" Un deuil ? Vous pouvez rendre les obsèques amusantes en organisant une "célébration" de la vie du défunt. Besoin d'argent ? Attirez-le dans vos poches en répétant mentalement des affirmations positives. Un cancer ? Voyez-le positivement, comme une "occasion de développement" - et pas seulement de la tumeur. Au milieu des années 1990, l'Association américaine contre le cancer avait rabroué un chercheur parce qu'elle ne voulait pas "être associée à un livre sur la mort". "Nous voulons mettre en avant uniquement les côtés positifs du cancer", avait déclaré l'un de ses représentants. Un licenciement ? Oubliez l'aspect financier et attachez-vous à reconfigurer votre attitude, comme l'explique le best-seller de 2004 We Got Fired... And it's the Best Thing That Ever Happened to Us [Nous avons été virés... et c'est la meilleure chose qui nous soit jamais arrivée]. En fait, tout porte à croire que l'omniprésente injonction morale de positiver fait peser un fardeau supplémentaire sur les épaules des malades ou de ceux qui sont malheureux pour une raison ou pour une autre. Vous ne parvenez pas à aller mieux et, en outre, vous n'arrivez pas à vous sentir bien de ne pas aller mieux. Il en va de même pour les chômeurs de longue durée, qui, je l'ai découvert en faisant des recherches pour mon livre On achève bien les cadres : l'envers du rêve américain [Grasset 2007], sont informés par les coachs en carrière et les livres de développement personnel qu'ils doivent avant tout livrer bataille contre leurs sentiments négatifs, leur rancœur et leur impression d'être des losers. C'est là du lynchage de victimes porté au paroxysme de la cruauté, et cela explique peut-être la passivité des Américains face aux avanies économiques à répétition qu'ils subissent. Mais le plus effrayant, dans le culte de la positivité, c'est qu'il réduit notre tolérance à la souffrance d'autrui. Loin de vivre dans une "culture de la plainte" qui défend les "victimes", nous sommes devenus "de moins en moins tolérants envers les gens qui traversent une mauvaise passe", affirme Barbara Held, professeur de psychologie au Bowdoin Collège et grande critique de la psychologie positive. Si personne ne veut écouter mes problèmes, je n'écouterai pas ceux des autres. "No whining" [Pas de pleurnicheries], préviennent les autocollants qui fleurissent sur les voitures. De cette façon, le culte de la positivité se développe avec la force d'un virus, créant un déficit d'empathie qui pousse de plus en plus de gens à exiger des autres qu'ils soient positifs. J'ai lutté contre le cancer dans un état de rage permanente, une rage dirigée principalement contre la culture positive factice qui entoure le cancer du sein aux Etats-Unis. Je ne peux pas avoir la certitude absolue qu'il n'y a plus la moindre trace de cancer dans mes cellules, mais une chose est sûre : il n'y a pas la moindre trace d'espoir en moi. Ne prenez pas cela pour du désespoir, comme lorsqu'on est vaincu, passif, ni pour du malheur. L'astuce, comme l'écrit Camus, le héros de mon adolescence, est de tirer de la force du "refus d'espérer et [du] témoignage obstiné d'une vie sans consolation". Etre sans espoir, c'est admettre la tumeur sur le scanner et planifier ses actes en conséquence.
Barbara Ehrenreich
L'auteure La notoriété de la journaliste américaine Barbara Ehrenreich a dépassé les frontières des Etats-Unis après la publication de L'Amérique pauvre : Comment ne pas survivre en travaillant (éd.10/18,2005). Ce livre est le fruit d'une longue enquête, au cours de laquelle elle a enchaîné les petits boulots et vécu dans des caravanes ou des motels pour comprendre comment on peut survivre quand on gagne moins de 7 dollars de l'heure. Agée de 66 ans, elle vient de publier Dancing in the Streets. A History of Collective Joy (Danser dans la rue : une histoire de la liesse, non traduit en français). Une sacrée personnalité cette nana ! | |
| | | Gotch Invité
| Sujet: Re: Le bonheur Mar 21 Aoû 2007 - 12:08 | |
| Cela explique sans doute que, dans des essais tentant de comparer américains et français, une remarque ressortissait à chaque fois : un incurable optimisme chez les premiers (allant jusqu'à l'inconscience de la réalité, mais ce n'était pas mis en avant). On dit les anglo-saxons pragmatistes, mais cet aspect "positif à tout prix" n'est certainement pas une attitude réaliste. Tout au plus une démarche "Je tombe, donc je rebondis... dans n'importe quelle direction même si elle ne m'occasionnera qu'une chute supplémentaire", ce n'est pas très malin! Refuser de rechercher le réconfort chez autrui, refuser à cet autrui une aide éventuelle, c'est très individualiste, mais je ne suis pas certain que quiconque y trouve son compte!
Le bonheur, à condition de ne pas rester dans cette démarche, peut être retrouvé en maternant / ou en étant materné pendant un certain temps, celui de retrouver non un positif automatique et sans âme, mais une vraie motivation à vivre vraiment. Il paraît que les américains, et les anglo-saxons en général, ne s'impliquent pas vraiment dans leur travail, ils en restent détachés. Au contraire, en France on aura tendance à considérer son boulot comme quelque chose qui nous appartient, pour le meilleur (envie de perfectionnisme par intérêt "intellectuel") comme pour le pire (impression de déchirement quand il faut changer de job, même dans le cadre de la même entreprise).
En fait, la recherche du bonheur "à l'américaine" ne serait-elle pas proche de celle d'Epicure, la recherche en fait du moins de malheur et de douleur possible ? ce qui est très réducteur, et en bout de compte peu motivant.... |
| | | nakata Modérateur
Nombre de messages : 3633 Localisation : Marie-George Buffet Land Date d'inscription : 28/09/2006
| Sujet: Re: Le bonheur Mar 21 Aoû 2007 - 14:44 | |
| - Gotch a écrit:
- Cela explique sans doute que, dans des essais tentant de comparer américains et français, une remarque ressortissait à chaque fois : un incurable optimisme chez les premiers (allant jusqu'à l'inconscience de la réalité, mais ce n'était pas mis en avant). On dit les anglo-saxons pragmatistes, mais cet aspect "positif à tout prix" n'est certainement pas une attitude réaliste.
Pas faux, mais, a contrario, l'humour noir de Barbara Ehrenreich me parait typiquement anglo-saxon (britannique, mais aussi blues noir américain). Même si sa personnalité est singulière, peu représentative par bien des aspects. | |
| | | campagne première Modérateur
Nombre de messages : 2541 Localisation : entre vignes et caveaux Date d'inscription : 26/09/2006
| Sujet: Re: Le bonheur Mar 21 Aoû 2007 - 15:55 | |
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| | | dodcoquelicot
Nombre de messages : 2773 Age : 65 Localisation : A l'est, mais pas tout à fait Date d'inscription : 02/10/2006
| Sujet: Re: Le bonheur Mar 21 Aoû 2007 - 17:00 | |
| Le bonheur, c'est le sourire de De Niro juste après cette photo ( quand il garde la fumée ) | |
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| Sujet: Re: Le bonheur | |
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| | | | Le bonheur | |
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