En surface, Bill Henrickson est un un chef d'entreprise américain banal : patron cordial, voisin discret dans une petite banlieue de l'Utah, père de famille sans histoire, ouvert sur le monde moderne... Sauf qu'il a une particularité que ses voisins ignorent : c'est un mormon polygame. Chacune de ses trois femmes occupe une maison de la même rue avec ses enfants, et à l'arrière, les jardins communiquent. Ce qui n'est pas sans poser quelques problèmes d'organisation et de cohabitation...
Parallèlement, des mormons polygames beaucoup plus sectaires vivent repliés sur eux-mêmes, refusant presque tout contact avec le monde moderne, en communauté dans un coin isolé, sous la coupe d'un gourou autoritaire et fanatique, le vieux Roman Grant. Autrefois, cette communauté était dirigée par le grand-père de Bill, mais Roman l'a évincé et a durci les principes communautaires. La famille de Bill s'est alors enfuie loin de cet intégrisme réactionnaire, tout en conservant la pratique de la polygamie. Du coup, Bill et les siens sont pris entre deux feux : Roman, qui le considère comme hérétique et le harcèle inlassablement en se servant de son empire financier, et les autorités, qui réprouvent la polygamie.
Entre les différentes factions, c'est l'escalade de la terreur, et la tension parvient rapidement à son comble...
Bill (Bill Paxton) et ses trois femmes (Jeanne Tripplehorn, Chloë Sevigny, Ginnifer Goodwin) Et voilà pour la trame de
Big Love, série dont la deuxième saison est en cours de diffusion sur HBO et dont la première débarque en septembre sur Canal+.
Du point de vue de l'intrigue, de la subtilité, de la richesse des personnages, c'est tout simplement la meilleure série depuis
Six feet under, si vous voulez mon avis. Aucun personnage n'est traité avec désinvolture par les auteurs, ils sont tous très crédibles, avec leurs problèmes existentiels ou concrets, leurs bon côtés qui nous font s'indentifier à eux, leurs défauts qui nous les rendent horripilants... Il y a un vrai suspens, une grande tension dramatique, mais l'intelligence n'est jamais sacrifiée à l'autel du spectacle.
Intelligence, car sans tomber dans un confortable relativisme moral, les scénaristes n'ont pas voulu juger trop ostensiblement la polygamie mormone. Ils se contentent d'en faire une chronique réaliste, inquiétante et drôle, de bien différencier les plus ou moins modernes et les intégristes, et il laisse juger le spectateur. Du coup, c'est peut-être la série qui a déclenché le plus de discussions enflammées entre nakatette et moi. On a tendance à juger un peu rapidement un personnage, puis on s'aperçoit un peu plus loin que c'est plus compliqué... Pourtant, la polygamie est montrée sans complaisance, sans idéalisation : les trois épouses de Bill ont leur lot de souffrances, de jalousies, de conflits intérieurs et extérieurs, parfois jusqu'au clash familial. Ce n'est clairement pas une situation facile. Bill, contrairement à la plupart des polygames mormons (comme l'affreux Roman), n'est pas un mari tyrannique et mysogyne, mais certaines tendances autoritaires lui reviennent malgré lui quand c'est trop le bordel entre ses épouses.
Big Love nous montre des personnages tiraillés, écartelés, entre leurs origines et la famille qu'ils se sont choisies, entre le traditionnalisme et le monde moderne, entre l'amour insouciant et la responsabilité... Une subtilité, un fragile équilibre, qui est la quintescence du savoir-faire HBO.
Roman (Harry Dean Stanton) Tout cela tomberait peut-être à plat sans un casting dont la richesse ne doit pas avoir beaucoup d'équivalent dans l'histoire des séries télévisées.
- Bill Paxton (
Terminator,
True Lies,
Apollo 13,
Titanic,
Un plan simple) brille par sa banalité apparente.
- Le vétéran Harry Dean Stanton (qui a joué sous la direction des plus grands : John Ford avec
La Conquête de l'Ouest, Francis Ford Coppola avec
Le Parrain 2, Arthur Penn, John Huston, John Milius, Ridley Scott avec
Alien, Bertrand Tavernier, John Carpenter, Wim Wenders avec
Paris Texas, Robert Altman, Agnès Varda, David Lynch avec
Sailor et Lula, et
Une histoire vraie, Nick Cassavetes, Terry Gilliam avec
Las Vegas Parano) campe l'un des méchants les plus mémorables depuis Al Swearengen dans
Deadwood.
- Bruce Dern, autre acteur d'expérience (
On achève bien les chevaux,
Gatsby le magnifique,
Small Soldiers), incarne le père de Bill, et Grace Zabriskie, autre habituée des films de Lynch, sa mère.
- Chloë Sevigny (jeune reine du cinéma indépendant sulfureux :
Kids,
Gummo,
Dogville,
Broken Flowers,
Brown bunny) joue encore mieux que dans ses grands films, dans le rôle de la fille de Roman et seconde épouse de Bill, une épouse tourmentée, complexée, jalouse de ses épouses/rivales, esclaves des principes réactionnaires de son père, en plein dilemne entre les deux hommes de sa vie qui s'entre-déchirent..
- Daveigh Chase, révélation de la série, est absolument glaçante dans la peau de Rhonda, une très jeune fille mariée de force à Roman et qui adhère pourtant avec fanatisme au "principe".
- Jeanne Tripplehorn (
Basic Instinct,
La firme,
Time Code) est émouvante dans le rôle de la première femme de Bill, femme moderne qui ne se convertit que par amour à la polygamie de son mari.
- Ginnifer Goodwin, vue dans
Le sourire de Mona Lisa, joue la troisième épouse de Bill, une jeune femme naïve, un peu maladroite, gaffeuse, sans expérience, mais qui tente de s'intégrer dans cette famille avec toute sa bonne volonté et un avantage de poids sur ses deux épouses/rivales : la beauté de sa jeunesse.
Le fils (Douglas Smith) et la mère (Grace Zabriskie) de Bill Bienvenu dans l'enfer familial !
Assez rare pour être signalé : la deuxième saison, actuellement en cours de diffusion sur HBO, ne baisse absolument pas en qualité.